Vous reprendrez bien un peu de rhétorique

Publié le 5 Octobre 2014

Farfadoc, Dr Selmer, Perruche en automne poursuivent un échange twitter sur le diagnostic en médecine générale.

Je suis médecin généraliste et ne fait pas de diagnostic.

Au risque d’être un peu scolaire, rappelons quelques notions. Le symptôme est un signe, le syndrome un ensemble de signes, la maladie est une atteinte liée à une cause externe ou interne. Ainsi la fièvre est un signe ; l’association fièvre-myalgies-arthralgies-toux irritative est un syndrome ; l’infection au virus influenzae est une maladie.,

Bien sur le médecin généraliste a une démarche, qui n’est cependant pas diagnostique mais décisionnelle, pour les amateurs de schéma complexe la démarche est synthétisée ci-dessous.

Vous reprendrez bien un peu de rhétorique

Le distinguo peut apparaître comme de la sémantique mais ce choix des mots est sous-tendu par un paradigme ( un mot pédant). Celui d’une hypothèse basée sur le recueil d’indices, dont la prévalence des maladies amenant à un examen orienté et permettant en fonction du contexte d’élaborer non un diagnostic mais une hypothèse probable qui conduit à une annonce au patient et à une décision partagée.

Un médecin généraliste évoque l’hypothèse d’une grippe, recherche des signes orientant vers d’autres syndromes, recherche des signes de gravité, intègre la situation du patient à son analyse et propose des prises en charge au patient. Il ne fait pas de diagnostic de grippe.

Vous reprendrez bien un peu de rhétorique

Il existe certes des diagnostics dit cliniques, c’est le cas par exemple de la varicelle, la sinusite, la candidose vaginale. Il s’agit en fait d’abus de langage. Ce n’est pas le diagnostic qui est clinique c’est la décision. Le terme clinique implique que la décision peut être proposée au patient sans réaliser d’autres examens pour diagnostiquer la maladie.

Ces précisions peuvent apparaître comme galimatias jargonneux mais elles ont leur importance.

Supposons un instant, qu’en effet le médecin généraliste pose des diagnostics comme des trophées ou des médailles sur l’autel de la gloire de la médecine. Il recueille des indices, examine, au besoin s’aide d’imagerie ou de biologie et annonce une maladie au patient éberlué par tant de compétences.Mais que se passe-t-il quand aucune maladie n’est annoncée, quand les examens répétés ne permettent pas le diagnostic ?

La tentation peut être forte alors de plier la réalité à un cadre plus rassurant. L’évolution peut se faire vers :

ARGAN: Il dit que c'est du foie, et d'autres disent que c'est de la rate.
TOINETTE: Ce sont tous des ignorants: c'est du poumon que vous êtes malade.
ARGAN: Du poumon?
TOINETTE: Oui. Que sentez-vous?
ARGAN: Je sens de temps en temps des douleurs de tête.
TOINETTE: Justement, le poumon.
ARGAN: Il me semble parfois que j'ai un voile deva
nt les yeux.

TOINETTE: Le poumon.
ARGAN: J'ai quelquefois des maux de cœur.
TOINETTE: Le poumon.
ARGAN: Je sens parfois des lassitudes par tous les membres.
TOINETTE: Le poumon.
ARGAN: Et quelquefois il me prend des douleurs dans le ventre, comme si c'était des coliques.
TOINETTE: Le poumon. Vous avez appétit à ce que vous mangez?
ARGAN: Oui, Monsieur.
TOINETTE: Le poumon. Vous aimez à boire un peu de vin?
ARGAN: Oui, Monsieur.
TOINETTE: Le poumon. Il vous prend un petit sommeil après le repas, et vous êtes bien aise de dormir?
ARGAN: Oui, Monsieur.
TOINETTE: Le poumon
, le poumon, vous dis-je

Le malade imaginaire acte III scène 10

Vous reprendrez bien un peu de rhétorique

Je caricature bien sur. Les médecins qui défendent sur leur blog le diagnostic en médecine générale ne sont pas des disciples de Diafoirus.

Pourtant les échecs de cette démarche à la recherche d’une maladie ont contribué à des diagnostics d’hystérie au 19ième siècle et plus récemment à cataloguer des anxieux en spasmophiles, des souffrances musculaires en fibromyalgie, des lombalgies en dérangement intervertébraux mineurs, des timidités en phobie sociale. Non que la souffrance de ces patients soit imaginaire, mais que le besoin de nommer la maladie ai induit la création de novo de maladies.

Vous reprendrez bien un peu de rhétorique

Le diagnostic en médecine générale est une illusion qui rassure face à l’incertitude mais dont l’excès est source de déviance.

Bien sur on peut arguer que nous identifions des diabètes, des insuffisances rénales, des hypertensions artérielles. Mais est-ce un diagnostic ? Il s’agit en fait de catégoriser une valeur mesurée. Un diabète est défini par une glycémie > 1.26g/l , en 2014 , mais était défini par une valeur de 1.40g/l en 1984. Une clairance estimée de la créatinine< 60 ml /mn/1.73m² définit une insuffisance rénale. Une hypertension artérielle correspond à des chiffres de pression artérielle mesurée >140/90 mm Hg.

Rien dans ce processus ne s’approche des définitions du diagnostic

Le Littré

Art de reconnaître les maladies par leurs symptômes et de les distinguer les unes des autres.

Le dictionnaire de l’Académie Française :

Qui sert à reconnaître, à identifier une maladie chez un patient

Le Larousse :

Temps de l'acte médical permettant d'identifier la nature et la cause de l'affection dont un patient est atteint.

Pourtant les compétences du médecin généraliste comprennent le diagnostic de situation. Certes, mais il s’agit encore d’un abus de langage, peut être lié au besoin des médecins de diagnostiquer.

Le diagnostic de situation consiste à appréhender tous les éléments, non seulement physiques mais aussi psychiques, environnementaux, sociaux d’une situation afin d’en faire une approche globale incluant la complexité. Encore un galimatias jargonneux.

Concrètement, il s’agit d’intégrer les symptômes physiques et fonctionnels, l’état psychique, la situation sociale à l’hypothèse diagnostique pour proposer au patient des moyens d’y répondre. C’est ce qui est demandé dans la production tant décriés des RSCA et qui en explique l’intérêt. Nous sommes aux antipodes du diagnostic d’un cas clinique qui doit conduire à nommer la maladie et le traitement.

L’absence de diagnostic en médecine générale ne signifie pas absence de réflexion, bien au contraire. Le médecin généraliste identifie en fonction d’informations recueillies l’hypothèse la plus probable. Il se trompe rarement, sans pour autant diagnostiquer les maladies.

Petite pirouette finale qui nous fait remonter à la Grèce antique.

du grec διάγνωση apte à reconnaître à discerner. (c’est vraiment bien internet pour écrire diagnosticos en grec).

Le temps a-t-il modifié la médecine comme il a modifié la sémantique ?

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P
bon article, je le recommanderai à mes internes...
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D
Merci
D
La vrais médecine, celle des livres et des connaissances encyclopédiques qui invente des maladies pour satisfaire l’ego démesurée des médecins. La vraie médecine qui découvre des maladies en oubliant l'âtre humain. Je ne crois pas non . Quant aux écrans je n'ai pas la prétention de satisfaire tous les goûts
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P
Et si vous faisiez de la vraie médecine, plutôt que faire un mauvais écrivain ?
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